La FSU avait dénoncé la loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » sur de nombreux aspects et en particulier sur les dispositions sur l’apprentissage.
Fabien Lagriffoul, directeur de formation du groupe EDF expliquait dans un article du Monde du 20 février 2019 que : « Le rapprochement de l’apprentissage et de l’entreprise va nous permettre de mieux définir nos diplômes et de les faire évoluer en même temps que nos métiers »
Les entreprises ont désormais la possibilité d’ouvrir leur propre CFA et beaucoup s’y sont déjà préparés. Yann Bouvier est chargé de pouvoir à la Fondation Fipa créée en 2016 ( « Fondation innovation pour les apprentissages » qui regroupent 13 grands groupes internationaux : AirFrance, Adeeco, BNP, Dassault, Foncia, La Poste, EDF, Orano, Sanofi, Société Générale, Thalès, Total et Veolia) et il explique que « Cette loi permet aux entreprises d’adapter les cursus à leurs besoins en compétence et aux métiers de l’entreprise, le tout allant très vite ».
Dans les faits, il s’agit d’une libéralisation de la formation professionnelle au profit des entreprises.
Les modalités de création des CFA (centres de formation d’apprentis) évoluent, de même que leurs missions et obligations. Plus de convention préalable avec la région pour créer un CFA, il suffit d’effectuer une déclaration d’activité en qualité d’organisme de formation et de faire référence à l’apprentissage dans les statuts. Ils devront se conformer à la réglementation applicable aux organismes de formation et détenir une certification « qualité » à partir de 2022.
Sur le financement, les branches professionnelles détermineront le niveau de prise en charge des contrats d’apprentissage à l’instar de ce qui existe déjà pour le contrat de professionnalisation, en fonction du domaine d’activité du titre et du diplôme visé.
Les contrats d’apprentissage seront déposés auprès des opérateurs de compétences (OPCO), mission qui pourra être déléguée aux chambres consulaires. Tout contrat d’apprentissage sera financé et les CFA et lycées professionnels auront obligation de rendre publiques leurs taux d’obtention des diplômes et d’insertion.
Avec cette libéralisation de la formation par apprentissage, les règles encadrant le contrat d’apprentissage se calquent sur les lois travail : davantage de flexibilité et moins de droits pour les apprentis !
Ainsi, la durée maximale de travail des apprentis mineurs est portée à 40 heures par semaine (contre 35 auparavant) et à 10 heures par jour. La rupture du contrat après les 45 jours d’essai est facilitée : rupture à l’initiative de l’apprenti, ou d’un accord commun, ou pour inaptitude physique ou professionnelle, ou encore pour faute grave ; le passage aux prud’hommes n’est plus obligatoire. La durée minimale de formation en CFA est de 25 % comme pour les contrats de professionnalisation, elle sera variable selon les niveaux de qualification et les règles seront fixées par les organismes certificateurs. Le contrat d’apprentissage pourra commencer à tout moment de l’année. De plus, le jeune pourra rester dans le CFA sans contrat d’apprentissage pendant 3 mois.
Ces changements auront des implications importantes sur le fonctionnement des lycées professionnels et technologiques.
L’apprentissage est-il pourtant LA solution aux problèmes du chômage des jeunes ?
Si les grandes entreprises voient dans cette libération de l’apprentissage de nombreux aspects positifs, les PME et TPE sont elles beaucoup plus inquiètent. Elles n’ont pas la capacité de créer leurs propres centres de formations et face à la multiplication des CFA privés, elles auront bien du mal à s’y retrouver.
A juste titre, la FSU est opposée au développement de l’apprentissage avant le baccalauréat. Si pour certaines professions particulières (coiffure, boulangerie, …), cette voie reste privilégiée, il n’en est rien pour le plus grand nombre. En juin 2019, 458 000 jeunes étaient en apprentissage, une augmentation de 8,4 % par rapport à 2018 mais aucune augmentation pour le niveau CAP, BEP et Bac Pro. Comme le titre Le-Monde le 26 décembre 2019, « L’apprentissage est en nette hausse mais rate sa cible initiale ». Davantage de jeunes accèdent à l’apprentissage mais après le baccalauréat, quand les jeunes ont déjà atteint un niveau minimal de formation initiale. Ce constat contredit déjà la premier argument de l’apprentissage qui était de permettre l’insertion des jeunes en difficulté. Les chefs d’entreprises n’ont pas vocation à former des jeunes en difficulté, mais à faire fonctionner leur entreprise dans les meilleurs conditions et pour le maximum de profit. La plupart vont choisir des jeunes qui connaissent les codes de l’entreprise : jeunes issus de leurs connaissances, de leur milieu social ou selon des déterminismes sociaux, culturelles et cultuelles. Comme les études sur le sujet le montrent, l’apprentissage renforce tous les déterminismes liés à la représentation genrée des métiers, à l’origine sociale et au lieu de vie du jeune. Un jeune issu de la minorité et d’un quartier difficile a peu accès à l’apprentissage.
De plus, comme le reconnaît l’économiste Bertrand Martinot, c’est à la croissance économique et aux tensions du marché du travail que l’on doit cet engouement pour l’apprentissage. Dans cette conjoncture économique, ce dispositif de formation est privilégié par les entreprises, car il permet de former un salarié plus rapidement à un outil de travail spécifique. Cette vision à court terme se heurtera à la problématique d’évolution de carrière pour le salarié avec un diplôme adapté à un outil de travail. Rappelons que les diplômes nationaux avaient été créés au XIXème siècle à la demande des patrons qui demandaient des diplômes utilisables dans les différentes entreprises pour prendre en compte la mobilité des salariés.
Alors la nouvelle loi fera-t-elle progresser le nombre d’apprentis ? Oui, bien évidemment, avec toutes les procédures simplifiées, ce dispositif deviendra un mode de recrutement et de sélection des salariés et à un coût défiant toute concurrence. Le contrat d’apprentissage est un contrat de travail qui, dès sa signature puis au cours de sa réalisation, permet au patron de choisir l’apprenti et d’écarter les jeunes qui ne répondraient pas aux critères attendus. Cette analyse est corroborée par le niveau d’insertion plus important de l’apprentissage que dans la formation initiale mais aussi un taux de décrochage beaucoup plus élevé : ce taux est même inquiétant au niveau des CAP, BEP et Bac pro. Nous pouvons nourrir de vives inquiétudes pour les jeunes qui sortent de ce dispositif et des radars de la formation.
L’apprentissage répond à un besoin patronal mais pas aux besoins en formation de tous les jeunes, ce qu’a toujours réalisé la formation professionnelle initiale sous statut scolaire.